ITALIA

Qu’est-ce que le «revenu de confinement»?

Le gouvernement italien a fait l’annonce d’un décret débloquant environ 12 milliards pour le soutien à l’emploi et aux entreprises, qui devraient se transformer en 25 milliards 1 (avec l’aide de l’Union européenne). On parle de l’extension des allocations chômages pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs, dans l’ensemble du pays. Au-delà de cette mesure, on ne sait pas exactement à quoi s’attendre : des congés parentaux exceptionnels sont évoqués, ainsi qu’un arrêt des cotisations et des impôts sur la TVA (pour les artisan⋅es et les professionnel⋅les), un allègement ou un renvoi des paiements et des crédits. La conférence de presse qui a précédé ces mesures n’a rien détaillé de plus. Les doutes semblent s’appuyer sur le fait qu’une fois le décret publié, nous nous trouverons face à des interventions multiples, des amortisseurs sociaux, dégrèvements fiscaux, etc., pour que, malgré la nécessité d’un certain universalisme, l’Italie réponde comme à son habitude par une série d’exceptions et de manière tout à fait discrétionnaire.

Cela fait quelques jours qu’une revendication circule en ligne. Elle est portée par des précaires, des intermittents·es et des auto-entrepreneur⋅ses – fraîchement ou faussement indépendant·es – de Lombardie et d’ Émilie Romagne, qui représentent une grande partie du travail précaire en Italie, celui qui souffre et qui souffrira le plus de la situation d’urgence liée au Covid19. Il s’agit de la revendication d’un revenu de confinement. Que signifie ce mot d’ordre, d’où vient-il et pourquoi pense-t-on qu’il soit décisif ?

Ce que l’on peut observer depuis les tranchées des employé⋅es sans droits, point de vue « privilégié », c’est que la situation d’urgence actuelle provoque d’énormes dégâts dans l’ensemble du monde du travail. Certains secteurs en paient le prix fort. Ce sont ceux dans lesquels la fragilité des garanties et des salaires est loin d’être une nouveauté : les travailleurs et travailleuses sociales, les salarié·es de coopératives, les petit·es travailleur·ses indépendant·es. Chacune de ces catégories comprend des centaines de milliers de personnes qui se sont littéralement retrouvées du jour au lendemain face à une suppression totale de leurs revenus et de toute forme de rémunération.

Le confinement et les interdictions de déplacement qu’il entraîne mettent également à genoux tout le secteur du tourisme et de la restauration : à cause de la réduction drastique des activités, les hôtels, les restaurants et les bars ont commencé à licencier. Si l’on ajoute à cela la fermeture des piscines, des salles de sports et des pubs, ainsi que des instituts de formation, des écoles privées sous contrats et de beaucoup d’autres établissements, le nombre de travailleur·ses qui restent et qui resteront sans emploi, sans salaire ou avec des horaires de travail sévèrement réduits, augmente vertigineusement. De manière générale, le secteur privé, mais aussi une grande partie du secteur public, « résout » ce problème en obligeant les salarié⋅es à prendre des congés, et en allant jusqu’à proposer de retirer les jours d’absence des indemnités de licenciement.

Ce tableau à peine esquissé montre indiscutablement que des mesures timides, ambiguës et fragmentées n’aideront en aucun cas à affronter la situation d’urgence : elles risqueraient plutôt d’agrandir encore plus les écarts entre celles et ceux qui sont submergés et celles et ceux qui s’en sortent, entre celles et ceux qui réussiront à faire face à la situation et celles et ceux qui, pendant des mois, voire des années, n’auront pas la possibilité de se relever.

Revendiquer un revenu de confinement signifie avant tout de prendre acte de la situation et d’affirmer un concept simple : il est nécessaire d’acheminer de l’argent directement dans les poches des travailleuses et travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants, associés ou saisonniers, qu’il s’agisse de travail au noir ou semi-déclaré. De quelle autre manière pourraient-elles s’en sortir sinon, toutes celles et ceux qui sont piégés dans du travail occasionnel ou dont les contrats ne reflètent pas les heures effectivement travaillées. Il est nécessaire d’imaginer et de revendiquer des mesures universelles, qui aillent dans le sens inverse de la segmentation : revenu de confinement et sécurité sociale, pour toutes et tous.

Il est aussi nécessaire d’articuler d’autres batailles fondamentales autour de cette revendication centrale : l’arrêt des crédits, des loyers et des charges, la suppression du paiement des impôts et des taxes comme la TVA ; l’arrêt immédiat des licenciements, la mise en place d’une aide extraordinaire pour le soin des personnes âgées et fragiles, des congés parentaux extraordinaires payés à 100 %, l’arrêt immédiat du recours aux congés payés comme compensation, la mise en place immédiate du télétravail pour tous et toutes quand cela est possible.

De l’argent, il y en a, il y en a toujours eu : il faut un investissent audacieux pour financer cette mesure et toutes les mesures de redistribution dont nous aurons besoin. Que celles et ceux qui ont amassé durant toutes ces années – sur le dos du travail sous-payé et sans droit, grâce à la spéculation financière et à une fiscalité régressive – rendent une partie de leur richesse. Car c’est une richesse commune, produite collectivement mais réappropriée par des individus et qui doit être urgemment rendue à la société pour son bien-être et sa santé. Si, comme le répète Confindustria pour imposer ses conditions au gouvernement, « ce sont eux le moteur du pays », qu’iels rendent l’argent excédent et qu’iels arrêtent la production – pour la protection des ouvrier·es et, plus largement, celle de tous et toutes.

L’urgence du coronavirus a permis de mettre en lumière les distorsions et les faiblesses du marché du travail italien, enracinées depuis trop longtemps : c’est pour cela que le revenu de confinement doit être une mesure d’urgence immédiatement effective, qui puisse parer les effets profonds d’une crise qui se profilait pourtant déjà clairement à l’horizon. Comme en ce qui concerne la santé publique, l’urgence est chronique.

Nous attendons de comprendre ce qui va se passer avec le décret annoncé, mais en attendant nous devons essayer d’unir les milles figures du travail précaire et exploité – les petit·es auto-entrepreneur·ses, les petites maisons d’éditions indépendantes, les travailleur⋅ses de la culture, du spectacle, du tourisme, de la restauration, du secteur tertiaire –, celles et ceux qui n’ont plus de bouées de sauvetage. Personne ne doit rester à la traîne. Aujourd’hui plus que jamais.

Traduit de l’italien par Cabiria Chomel et Lucile Dumont

Publié sur jefklak

Titre original : « Che cos’è il “reddito di quarantena” ? », disponible sur dinamopress.it/news/cose-reddito-quarantena.

  1. Le décret « Cura Italia », qui entend prendre des mesures pour faire face à la situation italienne pendant la pandémie, a été approuvé le 17 mars 2020.